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    NOTÍCIAS

    Le Monde Diplomatique | Taurus, símbolo da corrida armamentista da sociedade brasileira

    5 de janeiro de 2021 às 11:37

    Por Bruno Meyerfeld (Acesse o texto original publicado pelo jornal internacional Le Monde Diplomatique)

    Taurus, symbole de la course à l’armement de la société brésilienne

    Sous la présidence de Jair Bolsonaro, les armes à feu sont portées au pinacle. Et le fabricant national en profite largement, avec une spectaculaire progression de ses ventes en 2020.

    Dans la salle de réunion, posés à même la table sur de simples sous-main noirs, on trouve de bien étranges stylos. A la manière d’un vulgaire « plume », ils disposent certes d’un canon, de cartouches et de barillets. Mais la taille, le poids (autour de 600 grammes) et surtout la forme en équerre ne prêtent à aucun doute : il s’agit bel et bien de pistolets. Car nous nous trouvons bien au siège de Taurus, leader incontesté de la fabrication d’armes à feu au Brésil et en Amérique latine. Ici, dans la grise usine de Sao Leopoldo, près de Porto Alegre, aux allures de camp retranché, se trouvent les chaînes de montage du groupe : près de 2 500 employés, assemblant plus de 5 000 armes chaque jour. Soit une toutes les 17 secondes.

    Le « buffle » Taurus piétine la concurrence et s’accapare aujourd’hui 85 % du marché brésilien – une situation de quasi-monopole. Son secret ? L’utilisation de la technique de production dite du « MIM » (pour metal injection molding) : en gros, chaque composant d’une arme est fabriqué grâce à un moule, dans lequel on injecte de la poudre métallique. Il suffit ensuite d’assembler les pièces entre elles. « C’est comme jouer au Lego ! », nous explique-t-on lors de la visite.

    « Non seulement nous produisons en très grands volumes, ce qui nous permet d’avoir des prix très compétitifs, mais en plus nous disposons de l’une des gammes les plus complètes au monde », insiste Salesio Nuhs, PDG du groupe. Chez Taurus, on fabrique des armes de tous calibres et de tous types, depuis le simple pistolet jusqu’au fusil de chasse en passant par la mitraillette à usage de la police, pour des prix allant de 3 000 reais (480 euros) pour les plus petits revolvers jusqu’à 12 000 reais (près de 2 000 euros) le fusil d’assaut T4, calibre 5.56.

    « Le peuple doit s’armer »


    « Nos racines sont brésiliennes, mais nous sommes une entreprise globale », enchaîne M. Nuhs. Fondée en 1939 et rachetée en 2014 par la Compagnie brésilienne de cartouches (CBC), Taurus exporte désormais 70 % de la production dans plus de 100 pays, dont les Etats-Unis, de loin le premier marché au monde pour les armes à feu, où Taurus tient une place de choix : quatrième plus gros vendeur du pays, il y possède aussi une usine, installée dans l’Etat de Géorgie.

    Le 1er janvier, le groupe a pu sabler le champagne. Les chiffres cumulés pour 2020 ne sont pas encore connus, mais l’année fut sans conteste un grand cru. Déjà, pour la période courant de janvier à septembre, Taurus se targue d’avoir vendu plus de 1,2 million d’armes à feu, soit 28 % de plus que pour la même période en 2019. Son bénéfice brut a dans le même temps bondi de près de 100 %. Les investisseurs ont apprécié : en Bourse, le cours de l’action s’est envolé de 192 % sur l’ensemble de l’exercice 2020.


    La raison de cette embellie spectaculaire ? « Avec la pandémie, les gens ont peur. Ils se sentent menacés, en insécurité. Donc, ils achètent des armes », décrypte le PDG de Taurus, ajoutant que « les élections aux Etats-Unis ont aussi joué un rôle, les Américains craignant de possibles restrictions sur l’achat d’armes avec l’arrivée d’un président démocrate ». Mais, en définitive, le chef d’entreprise remercie surtout son président, Jair Bolsonaro : « Avec lui, le droit des Brésiliens à porter une arme et à la légitime défense commence enfin à être respecté. » 

    Car Jair Bolsonaro et les armes, c’est une véritable histoire d’amour. Depuis son arrivée au pouvoir en janvier 2019, le président aime à poser, posture « virile », fusil ou revolver à la main, l’index et le pouce pointés tel un revolver – geste devenu un signe de ralliement pour ses partisans. Le chef de l’Etat fait une publicité permanente des armes à feu, avoue d’ailleurs sans gêne aucune continuer à dormir avec un pistolet à portée de main, soigneusement placé sur sa table de chevet.

    Il ne s’agit pas que de com : les armes à feu sont au cœur du projet bolsonariste. « Le rêve du président est d’importer le modèle américain au Brésil. Avec au fond cette vision très états-unienne qu’un pays armé serait plus sûr mais aussi, paradoxalement, plus libre », analyse Carolina Ricardo, directrice de l’Institut Sou da Paz, militant pour le désarmement du pays. Pour preuve : la vidéo de cette réunion ministérielle, datée du 22 avril 2020, où un Bolsonaro hors de lui s’exclame : « Le peuple doit s’armer ! Car c’est la seule garantie qu’il n’y ait pas un fils de pute qui surgisse pour imposer une dictature ici ! »


    Depuis le début de son mandat, Bolsonaro n’a donc pas perdu de temps. En deux ans, près de 30 décrets, arrêtés et textes de loi relatifs au sujet ont été adoptés. Dans le détail, le citoyen ordinaire peut à présent posséder jusqu’à 4 armes à feu (contre 2 auparavant), acheter jusqu’à 1 200 munitions par mois par arme (contre 50 par an par arme dans le passé). Il a désormais accès à de plus gros calibres et produits, allant jusqu’aux pistolets 9 mm ou les fusils semi-automatique AR-15. Les membres de clubs de tir peuvent, eux, aller jusqu’à 60 armes et 180 000 munitions par an…


    Résultat : le Brésil connaît aujourd’hui une véritable ruée vers les armes à feu. En 2020, plus de 168 000 personnes ont obtenu le droit auprès de la police fédérale d’acquérir et de posséder une arme à feu, soit le double de 2019, et trois fois plus qu’en 2018 – année précédant l’arrivée au pouvoir de Jair Bolsonaro. Depuis la prise de fonctions de ce dernier, au moins 267 millions de balles ont été achetées dans le pays, soit plus d’une par Brésilien en vie. Des chiffres inquiétants, dans un pays déjà ultraviolent, qui a déploré plus de 41 000 assassinats en 2019 (soit un taux d’homicide de 19,8 pour 100 000 habitants : dix-sept fois supérieur à celui de la France).

    Le Brésil « patrie aimée », comme le proclame l’hymne national, se transformerait-il en « patrie armée » ? « En réalité, nul ne sait combien il y a d’armes à feu au Brésil. Les registres du gouvernement sont très lacunaires », insiste Ivan Marques, avocat, spécialiste du marché des armes et membre du Forum brésilien de sécurité publique (FBSP). En 2010, une étude soutenue par le ministère de la justice évaluait à 16 millions le nombre d’armes en circulation dans le pays, dont la moitié illégalement, soit à l’époque près d’une pour 10 habitants. Des chiffres alarmants, mais déjà vraisemblablement très au-dessous de la réalité et qui ont depuis explosé.

    Des armes de piètre qualité


    « A vrai dire, Bolsonaro n’a fait qu’amplifier une tendance de fond, commencée bien avant lui », poursuit M. Marques. En 2003, le pays montrait certes l’exemple, adoptant un ambitieux Statut du désarmement, encadrant strictement le secteur. Mais, deux ans plus, tard, le rejet à 63 % par référendum d’une stricte interdiction du commerce des armes met un coup d’arrêt brutal au processus. « Le “lobby de la balle” est entré dans la brèche et a mis en place une très efficace propagande auprès du public », poursuit M. Marques. Entre 2009 et 2019, le nombre de nouvelles armes acquises chaque année par des Brésiliens ordinaires a bondi de 580 %.


    Pour ne rien arranger, Bolsonaro a également annulé depuis le début de son mandat plusieurs ordonnances de l’armée, visant à mieux identifier, tracer et contrôler les armes en circulation. Mais le président, freiné par le Congrès et la justice, n’a pas pu (encore ?) s’attaquer au Statut du désarmement. En juin 2019, il fut aussi forcé de révoquer deux décrets, pris par lui, autorisant des millions de Brésiliens à porter une arme en public. « Pour acheter une arme, vous devez théoriquement passer un test psychologique, n’avoir aucun antécédent criminel, avoir un travail, une résidence fixe… tout cela demeure contraignant », insiste Ivan Marques.

    Paradoxalement, les relations de Taurus ne sont pas toujours faciles avec Bolsonaro et sa famille. Eduardo, député et troisième fils du président (surnommé « Zero Trois »), lui aussi « dingue de guns », a affirmé à plusieurs reprises son souhait d’en finir avec le monopole de Taurus et d’ouvrir enfin le marché brésilien, vantant au passage les qualités du concurrent allemand SIG Sauer. En décembre 2020, il était parvenu à obtenir du gouvernement la suppression des taxes à l’importation sur les armes à feu, mais la mesure a été bloquée par la justice.

    Ce désamour avec la famille Bolsonaro tient à la mauvaise presse de Taurus auprès des amoureux des guns. L’entreprise est connue pour produire des armes bon marché, mais aussi de piètre qualité, défectueuses, voire dangereuses, qui tirent sans autorisation ou s’enrayent en plein échange de tirs… Des défauts de fabrication qui auraient entraîné, selon le site d’information The Intercept, la mort d’au moins 50 personnes au Brésil, sans compter plusieurs condamnations.


    Mais qu’importent les relations familiales : Taurus bénéficie en réalité à plein de la politique de Jair Bolsonaro. « Nous avons de bonnes relations avec le président et nous n’avons pas peur du tout de l’ouverture du marché brésilien. Nous sommes prêts et sûrs de la qualité de nos produits », assure Salesio Nuhs, qui accompagne d’ailleurs régulièrement le président dans ses voyages à l’étranger, notamment en Inde, en janvier 2020, où fut signé un accord de joint-venture avec l’entreprise locale Jindal.


    Mais au Brésil, où sept assassinats sur dix sont commis par arme à feu, nombreux sont les experts qui s’inquiètent de l’impact sur le long terme de ce juteux business du canon. Avec la destruction de l’environnement, la politique des armes pourrait être le legs le plus mortifère de l’ère Bolsonaro, croit Ivan Marques : « Ces nouvelles armes débarquent dans un pays violent, hystérisé, en souffrance, frappé par la crise économique, les inégalités et l’explosion des violences en tout genre : domestiques, foncières, policières… tout cela risque de mettre le feu aux poudres et de marquer le pays pour des décennies. » Tuant des gens, bien sûr, mais aussi toute possibilité de dialogue entre les citoyens brésiliens.

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